Le mois de mai 1942 sera le temps fort du tricentenaire de Montréal. Ce sont dans les activités prévues ce mois-là que les organisateurs investiront le gros de leurs maigres ressources pour souligner l’anniversaire de la ville. Elles s’ouvrent le 3, à l’église Notre-Dame-des-Victoires. Comme auparavant, la dimension religieuse des fêtes et le souvenir de la Ville-Marie coloniale et missionnaire en mènent large. Et ce jour-là, c’est la Vierge qui domine la scène.
Pour l’occasion, la rue Lacordaire et les demeures qui se trouvent à proximité ont été décorées, incluant un arc de verdure dans lequel est enchâssée une statue de la Vierge. Des hauts-parleurs ont également été installés de manière à retransmettre la musique de l’orgue de l’église et les discours à venir. Près des portes se trouve l’habituel mélange de dignitaires civils et religieux, incluant le maire Raynault et l’archevêque Joseph Charbonneau. Différentes congrégations consacrées à la Sainte Vierge sont présentes, portant leurs bannières. Le corps de cadet de l’école Chomedey de Maisonneuve est également présent.
Une sonnerie de clairon marque l’ouverture de la cérémonie et, des portes latérales de l’église, émergent de nombreux « anges » habillés de blanc et de bleu qui iront prendre place sur le parvis de l’église, pour y dessiner un grand M. Une actrice incarnant la Vierge les suit et va prendre place sur un trône. Deux des « anges » lui présentent des globes terrestres sur lesquels elle indique, à l’aide d’une baguette, la position de la métropole. Un héraut appelle alors des acteurs prenant le rôle des fondateurs de Montréal, qui viennent rendre hommage à la Vierge.
Une procession se met alors en branle et parcoure les rues avoisinantes, portant la statue de Notre-Dame-des-Victoires sur un brancard. Prières et chants de louanges à la Vierge ponctuent la procession. De retour à l’église, c’est le père oblat Henri Matte qui offrira aux spectateurs un sermon intitulé « La Sainte Vierge aux origines de Montréal ».
De nouveau est offert à la foule le récit mystique des origines de la ville, mettant en vedette Le Royer de la Dauversière, Olier et de Maisonneuve, avec Jeanne Mance et Marguerite Bourgeoys dans les rôles de soutien. Cela dit, c’est la Providence qui est, au final, l’instigatrice du projet dans le récit que propose Matte, de la Dauversière ayant une vision de la Sainte Famille dans l’église Notre-Dame de Paris en 1639, vision suite à laquelle il fut « inondé de nouvelles lumières sur la région et la nature de l’Île de Montréal, et il connut toutes les personnes qui devaient l’assister dans cette gigantesque entreprise ». Matte poursuivra son sermon, liant chacun des fondateurs de la ville à une apparition ou à une révélation qu’il associera à la Vierge.
« Comment oserait-on douter d’événements aussi manifestement surnaturels qui ont eu leur éclatante confirmation dans la suite, au cours de notre glorieuse histoire. » La question, évidemment, est rhétorique.
Les commémorations du tricentenaire de Montréal demeurent ainsi centrées sur ce récit de la fondation mystique de Montréal, ou plutôt de Ville-Marie, ignorant largement ses trois siècles d’histoire. C’est seulement en conclusion que le présent refait brutalement surface, alors que dans « une chaude improvisation, Son Excellence Monseigneur l’Archevêque incite fortement les assistants à prier avec ferveur, à implorer la Vierge protectrice de nous accorder la victoire sur les ennemis de l’Église et sur ceux de notre âme ».
La guerre se poursuit et n’épargne même pas l’auguste figure du maire Raynault…