Les banlieues (bourgeoises) de Montréal face à la métropole

Dans Le Devoir de ce matin, Peter Trent, le maire de Westmount, publie un extrait du livre qu’il s’apprête à faire paraître dans les deux langues officielles. Intitulé The Merger Delusion, How Swallowing Its Suburbs Made an Even Bigger Mess of Montreal, l’ouvrage contiendra très certainement une critique en règle (et passablement volumineuse à 700 pages!) du fiasco que représentent les réformes municipales entreprises à l’échelle du Québec en 2001 et qui se sont terminées, dans le cas de Montréal du moins, par un compromis bancal et dysfonctionnel. J’ai entendu à plusieurs reprises M. Trent débattre durant la longue saga des fusions/défusions municipales et, si je ne partage pas toutes ses idées sur la saine gouvernance de la région métropolitaine, je dois reconnaître qu’il est un observateur avisé de la scène municipale montréalaise (c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai accepté de produire une recension de l’ouvrage en question).

Dans son texte, M. Trent y va d’une défense passablement généreuse du maire Tremblay et en vient à cette affirmation:

Si la mégaville avait vraiment été créée par des fusions, c’est-à-dire, par l’union de partenaires égaux, le penchant de Montréal pour la corruption aurait pu s’estomper ou tout au moins être amoindri. Mais la mégaville a été créée par une annexion : aussi, ce sont les méthodes, l’administration et la moralité de l’ancienne ville de Montréal qui sont devenues la norme. La corruption s’est diffusée à partir d’une source bien enracinée.

Avec ces quelques lignes, le maire de Westmount s’inscrit dans une longue tradition. L’histoire des relations ville-banlieues à Montréal permet d’observer l’étonnante constance de l’argumentaire des banlieues cossues de l’île face à la question de la gouvernance métropolitaine de la région. Ce discours a plus souvent qu’autrement été porté par la mairie de Westmount, qui fait figure de porte-étendard des banlieues de l’île.

Ainsi, l’administration municipale de Westmount joue un rôle important dans les débats qui mènent à la mise sur pied d’une première structure de gouvernance métropolitaine à Montréal en 1921. La Commission métropolitaine de Montréal (CMM) exerce un contrôle financier sur les municipalités du centre de l’île, contrôle dont est exempté Montréal. Il est toutefois clair que le processus ne s’arrêtera pas là et, dans les années qui suivent, plusieurs acteurs des banlieues de la première couronne de Montréal font la promotion d’un système fédéral de gouvernement de l’île de Montréal. Si les représentants des banlieues espèrent maintenir leur autonomie sur les questions locales, ils croient aussi favoriser le développement de la région métropolitaine en s’efforçant de mettre un joug administratif sur un gouvernement municipal central qu’ils estiment être une cause importante des problèmes auxquels continue de faire face Montréal. Le système mis de l’avant reprend, dans ses grandes lignes, celui mis en place à Londres en 1888. Il s’agit d’un régime à deux paliers, constitué d’un conseil central et d’arrondissements qui correspondraient plus au moins au découpage municipal de l’île de Montréal. Les conseils d’arrondissement bénéficieraient d’une autonomie complète en ce qui concerne les affaires purement locales, mais leurs finances seraient supervisées par le conseil central. Ce dernier administrerait les dossiers métropolitains et ses finances seraient, à leur tour, supervisées par le gouvernement du Québec.

Ce qui est significatif dans la façon dont ce système est présenté, est l’omniprésence d’éléments faisant écho aux pratiques et aux discours que l’on observe, au même moment, dans les banlieues de l’île. On y sent clairement leur empreinte et leur influence. Les intervenants reviennent fréquemment sur le fait que c’est la taille de Montréal même, comme entité politique, qui tue tout esprit civique et qui nourrit inefficacité et corruption dans la ville. À l’opposé, comme l’explique le maire d’Outremont, Joseph Beaubien, lors d’une conférence :

the reason that the smaller independent communities in the vicinity of Montreal, such as Outremont and Westmount, were so much more efficiently administered, was due to the fact that civic management as it related to the minor routine of hiring and discharging employees, and clerical and other petty tasks, in the case of the smaller communities referred to was effected by civic staff clerks employed for just this purpose. As a result suburbs were much more efficiently managed. […] Men in the suburbs were easily elected to office. There was not the tremendous preliminaries and initiatives prior to elections as there most certainly was in the larger cities. A candidate was selected with ease and without fuss and simply ran for election at a minimum of expense to all (The Weekly Examiner, le 5 juin 1930, p. 1).

C’est tout le contraire dans les grandes villes, où l’on retrouverait « the pernicious influences of party ties, that obstructed the work of general progress, and restricted what might otherwise be the reform activities of a candidate once elected ». Comme le résume un des documents produits en 1928 pour faire la promotion de ce régime et où l’on énumère les raisons pour lesquelles les hommes d’affaires de Montréal devraient l’appuyer: « it provides the opportunity for every district in the city to be administered equally as well as either Westmount or Outremont ».

Ce que proposent les promoteurs du système des boroughs est donc ni plus ni moins qu’une métropolisation à la suburbaine : c’est-à-dire qu’ils favorisent la mise sur pied d’un gouvernement régional qui s’inspirerait d’une culture et de pratiques politiques observées dans les banlieues de l’île et qui se traduirait par un démantèlement du monstre que serait la ville centrale.

Les discours identitaires émanant des banlieues durant la première moitié du 20e siècle sont d’ailleurs très explicites à ce sujet. Lorsqu’on examine les journaux locaux, les discours de politiciens suburbains ou les ouvrages de différents types consacrés à ces communautés, les discours critiques à l’endroit de la ville centrale sont légion, l’attaquant sur tous les fronts en recyclant souvent le discours et les arguments utilisés ailleurs. Ces discours permettent non seulement à ces banlieues de renforcer, par la négative, ce en quoi elles se distinguent, mais aussi de justifier l’exode suburbain qui se poursuit tout au long de l’entre-deux-guerres.

Aux yeux des banlieusards, mais surtout de leurs gouvernants, Montréal, c’est d’abord une administration municipale corrompue et incompétente, un problème qui serait le principal moteur de l’exode vers la banlieue si on se fit à William D. Lighthall, qui fut, entre autres choses, échevin et maire de Westmount :

the extravagance which for some years distinguished the municipal government of Montreal drove many to seek relief outside from excessive taxation and other objectionable conditions within the city. Montreal, in fact, is encircled by a number of municipalities which have preferred to remain outside its sphere although their borders are contiguous with it (Lighthall, 1907).

Bref, de Lighthall à Trent, il y a un besoin chez les acteurs politiques des banlieues autonomes de Montréal de justifier leur existence continue, comme entités politiques (relativement) indépendantes, par une critique assez féroce de l’administration municipale montréalaise et de toute forme de gouvernement métropolitain qui lui laisserait les coudées franches. Quant à déterminer dans quelle mesures leurs critiques sont justifiées…

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