Cette session, j’ai le plaisir de donner pour la première fois notre séminaire obligatoire de méthodologie pour les étudiants à la maîtrise. C’est une expérience jusqu’à maintenant très intéressante et sur laquelle j’espère avoir le temps de revenir régulièrement ici. Deux trames s’y mêlent: une série de séances sur les aspects plus pratiques de la mise sur pied d’un projet de recherche; une autre consacrée à un certain nombre d’approches et de méthodes. Ces séances, plus thématiques, permettent de discuter plus largement de certains aspects méthodologiques de la recherche historique.
Il y a deux semaines, nous avons abordé la première de ces grandes questions méthodologiques: l’utilisation des sources iconographiques.
L’actualité m’a permis d’ouvrir la séance sur une petite controverse qui permet de mettre en relief certaines des problématiques relatives à l’utilisation de ces sources.
Cette photo d’Alfred Eisenstaedt, prise en août 1945 à la conclusion de la Seconde Guerre mondiale et publiée dans le magazine Life, est rapidement devenue l’incarnation même de la joie, de l’ivresse et du soulagement entourant la fin du conflit aux États-Unis. La question de l’identité du marin et de l’infirmière qui y figurent a fait l’objet de recherches et de démarches rocambolesques, qui se sont conclues par la quasi-certitude qu’il s’agit de Greta Zimmer Friedman et George Mendonsa. La photo est devenue objet de controverse lorsque, dans une entrevue récente, le récit des événements entourant le fameux baiser a permis de confirmer que Friedman et Mendonsa ne se connaissaient pas (dans les mots de Mendonsa: « The excitement of the war being over, plus I had a few drinks. So when I saw the nurse, I grabbed her, and I kissed her. »). Le blogue féministe Crates and Ribbons a été le premier, à ma connaissance, à suggérer que cette photo, loin de mettre en scène un moment d’un grand romantisme, représentait plutôt une agression (« sexual assault by modern standards »).
Mon but, ici et dans le cours, ne fut pas d’explorer tous les tenants et aboutissants du débat qui a suivi (et se poursuit), mais d’illustrer comment les sources iconographiques, d’une part, peuvent être trompeuses et, d’autre part, comment la question du contexte est importante lorsque vient le moment de les analyser.
Pour explorer la question plus avant, je ne peux que recommander chaudement l’ouvrage de Peter Burke sur la question, Eyewitnessing. The Uses of Images as Historical Evidence, que nous avons d’ailleurs utilisé en classe. Burke y explore les grandes questions méthodologiques que soulève l’utilisation des sources iconographiques, explore certains des principaux domaines où elles brillent par leur pertinence (représentations du sacré, affrontements politiques, culture matérielle, représentations de l’autre et stéréotypes, mise en récit de l’événement) et offre ses propres pistes quant au cadre d’analyse à privilégier. L’ouvrage regorge d’ailleurs d’exemples parlant sur la question, par exemple cette peinture de Titien intitulée Amour sacré et amour profane.
Les deux femmes qui y sont mises en scène incarnent, comme le titre l’indique, l’amour sacré et l’amour profane. Au fil des siècles, selon les publics et les valeurs culturelles en vogue, la nudité de la femme de droite, incarnant à l’origine le sacré, en est venue à prendre le sens contraire, illustrant bien comment, si une image vaut effectivement mille mots, une mise en contexte rigoureuse et la plus grande prudence s’imposent lorsque vient le moment de les choisir.
L’article « The Surrender of Montreal to General Amherst de Francis Hayman et l’identité impériale britannique », publié dans Mens en 2011 et abondamment illustré, a permis aux étudiants de faire une analyse critique d’une étude s’appuyant en bonne partie sur de l’iconographie.
Cette semaine, nous poursuivons dans cette veine, avec une séance consacrée à la narration et au récit historique.