La mémoire mise à mal

Vous trouverez dans le plus récent numéro de la revue Argument un dossier que j’ai eu le plaisir de diriger sur le thème « La mémoire mise à mal. Faut-il déboulonner nos statues? ». Il compte des textes d’Éric Bédard, Jean-Pierre Le Glaunec, Charles-Philippe Courtois, Stéphane Lévesque et Patrick Moreau.

Leurs auteurs proposent des réponses parfois contradictoires, parfois complémentaires, mais toujours intéressantes aux questions qui ont guidé la constitution du dossier. Quant à moi, j’y signe une présentation dont voici le premier paragraphe:

La mémoire mise à jour, ou mise à mal?

Harold Bérubé

La mémoire est toujours suspecte à l’histoire, dont la mission vraie est de la détruire et de la refouler.

Pierre Nora (1997)[1]

Dans les dernières décennies du XIXe siècle, l’Occident est frappé par ce qu’il convient d’appeler une fièvre mémorielle qui ouvre un véritable âge d’or de la commémoration matérielle, dans l’espace public, des grandes figures et événements liés au déploiement des identités nationales. Sur les places publiques et dans les parcs des grandes métropoles se multiplient les statues célébrant les figures marquantes, passées et présentes, de grands récits collectifs que l’on élabore pour raconter la nation. D’autres vagues suivront – pensons notamment à la multiplication, dans les années 1920, des cénotaphes érigés à la mémoire des combattants de la Première Guerre mondiale – et le mouvement s’étendra au-delà de la sphère occidentale, qu’il s’agisse par exemple des « Républiques populaires » issues de révolutions communistes ou encore des États africains créés dans le cadre du mouvement de décolonisation des années 1950-1970. Dans tous ces cas, ceux et celles qui voient à l’érection de ces monuments ont deux objectifs : incarner la collectivité, ses idéaux et ses valeurs dans des monuments, dans des individus de pierre ou de bronze; mais aussi s’assurer que ce discours symbolique s’inscrive dans la longue durée. Depuis, cette fièvre s’est atténuée considérablement et, assez paradoxalement, bon nombre de ces monuments sont littéralement tombés dans l’oubli. D’une part, il est parfois devenu difficile pour les contemporains de les déchiffrer, de « lire » les symboles et allégories dont ils sont chargés. D’autre part, même s’ils sont généralement positionnés de manière bien visible dans l’espace, plusieurs d’entre eux ont fini par se fondre dans le paysage urbain, ignorés par les automobilistes, les cyclistes ou les passants qui les croisent quotidiennement.


[1] Pierre Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », dans Pierre Nora, dir. Les Lieux de mémoire I, Paris, Gallimard, 1997, p. 25.

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