
CASTONGUAY, Stéphane et Michèle DAGENAIS, Metropolitan Natures. Environmental Histories of Montreal (Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2011), 321 p.
Les corrections sont enfin terminées et la saison estivale peut commencer. Voyons si lectures et recherches seront plus propices aux activités de ce blogueur. Mon ambition est d’alterner, au cours de l’été, entre notes de lecture et notes de recherche. Je commence avec cet ouvrage, que je recense pour la Revue d’histoire de l’Amérique française. Tiré d’un atelier qui s’est tenu à Montréal en mars 2009, Metropolitan Natures rassemble une quinzaine de contributions sur l’histoire de la métropole québécoise. Dans leur introduction, les éditeurs du livre, Stéphane Castonguay et Michèle Dagenais, définissent très généreusement le concept d’environnement et, dans ce qui est pratiquement devenu un passage obligé lorsque vient le moment d’aborder une telle notion, en soulignent la pluralité, la nature construite. Promis à un assez large diffusion, l’ouvrage est également une contribution substantielle à l’histoire de Montréal.
Les chapitres sont organisés selon trois grands thèmes: cultures urbaines et représentations, systèmes sociotechniques et infrastructures urbaines, relations ville/campagne. La recension d’ouvrages collectifs est une tâche ingrate: difficile de résumer en un millier de mots plus d’une dizaine de textes distincts. C’est encore plus vrai ici. Je me contente donc de mettre en relief les chapitres qui m’ont le plus interpelé.
C’est le cas de ceux de Nicolas Kenny et Magda Fahrni, qui traitent de la façon dont les citadins ressentent et vivent l’expérience urbaine à travers leurs sens, leur corps. Le premier le fait en se penchant sur l’impact environnemental de l’industrialisation de la ville, alors que la seconde s’intéresse à l’épidémie d’influenza qui touche la métropole dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale. Comme le souligne Kenny, ces expériences sensorielles jouent un rôle central dans la façon dont les citadins conçoivent l’expérience urbaine et s’y situent, mais aussi dans les rapports de pouvoir qui se déploient dans cet environnement (p. 59). C’est aussi vrai des élans d’enthousiasme qu’inspirent la beauté du milieu géophysique et les cheminées d’usine qui s’élancent vers les cieux, que des peurs que suscitent la fumée noire que crachent ces cheminées et les conditions dans lesquelles vivent ceux qui sont touchés par l’influenza. L’étude de l’environnement urbain par les sens a le vent dans les voiles par les temps qui courent et représente indéniablement un versant prometteur en histoire urbaine, thématique que j’ai bien l’intention de revisiter cet été par l’entremise de l’ouvrage phare de Richard Sennett sur la question: Flesh and Stone. The Body and the City in Western Civilization.
Les textes de Dany Fougères, Michèle Dagenais, Susan M. Ross et Christopher G. Boone traitent globalement des rapports complexes qu’entretient la ville avec l’eau, qu’il s’agisse de la consommer, de la purifier, de l’évacuer ou d’en contrôler le niveau. Les textes de Fougères et de Dagenais, qui ont consacré d’importantes monographies au sujet, permettent de suivre sur plus de deux siècles le développement des infrastructures liées à la gestion de l’eau sur l’île. Le texte de Ross, extrêmement intéressant, se penche sur ces réservoirs creusés à même le mont Royal au fil des ans et dissimulés dans ce paysage « naturel ». Elle y propose notamment une réflexion intéressante sur l’historicité de l’idée de pureté de l’eau. Boone, pour sa part, traite des jeux politiques très complexes qui entourent la gestion des inondations dont sont victimes certaines sections de la ville dans les dernières décennies du XIXe siècle.Ce sont des questions avec lesquelles j’étais toutefois relativement familier. Je ne voudrais donc pas passer sous silence le brillant chapitre de Sherry Olson sur les rues comme éléments de l’environnement urbain. Elle montre bien l’influence énorme qu’ont ces espaces publics sur la façon dont se développe le tissu urbain et elle projette habilement sa réflexion à l’aube du XXIe siècle pour relever les défis auxquels sont confrontées les autorités municipales dans l’utilisation durable du réseau routier urbain et des infrastructures qui lui sont liées.
Les quatre derniers chapitres de l’ouvrage traitent des relations ville/campagne font échos aux travaux pionniers de William Cronon sur Chicago et son hinterland. Ainsi, Stéphane Castonguay étudie sur un siècle l’évolution de l’agriculture dans la plaine de Montréal et démontre bien que, loin d’être tout simplement repoussée par le processus d’urbanisation, cette agriculture a su se réinventer et s’adapter au fil des décennies. Les trois autres articles qui complètent cette section explorent également la complexité des rapports entre la métropole et sa périphérie, que ce soit dans le cadre de la chasse à courre pratiquée par le Montreal Hunt Club (Darcy Ingram), de la difficile intégration de la réserve de Kahnawake à l’espace métropolitain (Daniel Rueck) ou des répercussions dramatiques de la construction du canal de Beauharnois sur l’environnement rural de ce secteur (Louis-Raphaël Pelletier).
Bref, si l’ouvrage ne réinvente pas la roue sur le plan historiographique, s’inscrivant largement dans les grandes tendances en histoire environnementale nord-américaine, il permet de constater à quel point l’intérêt des historiens québécois pour l’histoire environnementale ne s’est pas démenti depuis les numéros spéciaux qu’y ont consacrés la Revue d’histoire de l’Amérique française et Globe en 2006.