« Le rebelle traditionaliste: une biographie intellectuelle de François-Albert Angers (1909-2003) »

Le 5 mai dernier, Jean-Philippe Carlos, que j’ai eu le plaisir de co-diriger avec mon collègue de l’UQAM Stéphane Savard, soutenait avec succès sa thèse sur l’économiste et intellectuel nationaliste François-Albert Angers. Cette thèse est maintenant disponible en ligne via la plateforme Savoir de l’Université de Sherbrooke et je ne peux que vous inviter à en prendre connaissance, en attendant une éventuelle monographie.

À cause de son âge, de son parcours, de ses idées et de l’étendue exceptionnelle de son engagement dans le temps, Angers constitue une figure qui permet de mieux comprendre l’évolution du nationalisme québécois durant les deux derniers tiers du 20e siècle et la transformation (ou l’adaptation) des idées conservatrices durant cette période. En étudiant ce disciple d’Esdras Minville, Jean-Philippe Carlos voulait mesurer et analyser l’influence de ses idées et de ses actions, mais aussi mieux comprendre quel rôle il a joué dans la transformation des idées traditionalistes et conservatrices dans un Québec qui connaît de profondes mutations à partir des années 1960 – période à partir de laquelle ces idées semblent initialement disparaître de la carte.

Jean-Philippe Carlos s’est attaqué à la production écrite d’Angers, qui est pour le moins substantielle, mais il s’est aussi intéressé et a documenté les réseaux dans lesquels il s’inscrit au cours de sa longue carrière à la fois comme économiste aux HEC et comme intellectuel nationaliste. D’un chapitre à l’autre, il suit de près la trajectoire d’Angers. Il met l’accent sur les éléments de contexte qui permettent de bien comprendre son évolution, et notamment de voir en quoi sa trajectoire se distingue d’autres intellectuels qui lui sont contemporains et apparentés. On découvre notamment un nationalisme traditionaliste qui se développe initialement assez loin de l’omniprésent chanoine Groulx. Plus largement, l’objet historique « François-Albert Angers » remplit entièrement ses promesses en nous permettant de suivre les mutations des idées conservatrices durant la seconde moitié du 20e siècle au Québec (et au-delà des seules années 1960, bien traitées par l’historien Xavier Gélinas). On voit notamment un Angers négociant, à travers son intense engagement au sein de l’Action nationale, l’adhésion progressive des nationalistes canadiens-français au nouveau cadre identitaire québécois, mais aussi et surtout au projet indépendantiste qui l’accompagne. On suit également l’évolution beaucoup moins connue (mais toute aussi intéressante) des idées économiques durant la construction des États-providence fédéral et provincial, construction à laquelle Angers s’oppose vigoureusement et parfois à l’aide de stratégies inattendues. L’inclusion, dans l’analyse, du parcours professionnel d’Angers aux HEC vient d’ailleurs enrichir ce tableau. On peut voir par exemple comment ces positions d’Angers finissent par mener à sa relative marginalisation au sein d’une institution qui embrasse d’autres cadres d’analyse et d’autres idées. Enfin, mentionnons l’efficacité avec laquelle Jean-Philippe Carlos démontre qu’Angers en vient à faire de nécessaires concessions à « l’air du temps » pour demeurer pertinent comme acteur dans les débats sociaux. C’est quelque chose qui est particulièrement évident lorsqu’on parle, par exemple, de ses convictions religieuses qui disparaissent graduellement de ses discours publics dans un Québec de plus en plus sécularisé, mais qui demeurent bien présentes dans sa correspondance.

Bref, dans cette thèse, Jean-Philippe Carlos parvient avec grand succès à utiliser le long et riche parcours de François-Albert Angers pour éclairer sous un jour nouveau certaines des plus importantes transformations politiques, socioéconomiques et culturelles que connaît la société québécoise au cours du 20e siècle.

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