
En octobre prochain, je serai du 72e congrès annuel de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, qui se tiendra à Ottawa les 17-19 octobre. Pour l’occasion, je présenterai mes résultats de recherche dans le cadre d’une séance thématique intitulée « Repousser, renégocier et contester les frontières du journalisme au Québec (1880-1980) » et à laquelle participent également Daniel Poitras, Virginie Pineault et Marilou Tanguay. Mathieu Lapointe a généreusement accepté de la présider. La séance a lieu le samedi 19 octobre en matinée, alors faites preuve de modération lors du banquet de la veille!
Vous trouverez, ci-dessous, la description générale de la séance, ainsi que le résumé des communications qui y seront présentées:
Description de la séance
Chez les historiens de la période contemporaine, les journaux constituent une source d’information omniprésente. Qu’elle soit au cœur ou en périphérie du corpus utilisé, la presse à grand tirage ou d’information est considérée, avec raison, comme une riche source de données historiques. Cela dit, compte tenu de leur centralité historiographique, ces journaux, les acteurs qui y œuvrent et la façon dont ils font leur travail demeurent sous-étudiés. Pourtant, entre son apparition à la fin du 19esiècle et son déclin relatif au tournant du 21e, la presse à grand tirage a connu d’importantes mutations. Cette séance propose d’explorer certaines de ces transformations au Québec en se penchant sur des cas d’étude où les frontières du journalisme ont été revues, repoussées ou contestées. Qu’il s’agisse de s’approprier un nouveau sujet ou un nouvel objet, de proposer des interprétations profondément divergentes du même événement ou de renégocier, voire d’abolir, des distinctions fondamentales dans la façon dont la nouvelle est rapportée ou classée dans les pages d’un quotidien, les quatre communications qui composent cette séance permettront de remettre à l’avant-plan l’idée que les journaux et le journalisme ont une histoire et que si d’importantes bases ont été posées dans l’historiographie de la presse et du journalisme au Québec, il reste beaucoup à faire pour explorer la riche histoire de cet objet d’étude. Veuillez noter que la professeure Josette Brun a accepté de présider cette séance.
Communication 1 :
Le scandale médiatique : à la frontière du dicible et de l’indicible (1880-1915)
Virginie Pineault
Le scandale médiatique est un acte de dévoilement théâtralisé par lequel la presse rend publique une transgression jusque-là inconnue. Par essence, il s’agit donc d’un phénomène par lequel des frontières sont traversées. À l’aube de la presse commerciale, il constitue une mise en scène par laquelle la presse révèle des réalités occultes et où l’indicible immoralité des grands est non seulement nommée, mais dénoncée. Cette communication sera consacrée aux débats journalistiques entourant la frontière de l’indicible et du dicible, dans la presse à grand tirage montréalaise, entre 1880 et 1915. Plus précisément, je m’intéresserai aux discussions entourant la liberté de la presse et aux notions d’intérêt public et d’opportunisme mercantile qui y sont fortement mobilisées. Cet angle d’approche me permettra de réfléchir aux rôles et fonctions autoproclamés de la presse québécoise durant son processus de professionnalisation. Alors que l’immoralité, pilier du sensationnalisme, devient une des matières premières de la presse de masse naissante, se pose de plus en plus cette épineuse question : considérant que toute vérité n’est pas bonne à dire, qu’est-ce qui justifie le scandale médiatique? Dans quel contexte est-il légitime?
Communication 2 :
Lire la ville à travers ses journaux : le cas de Louis Dupire, « le plus métropolitain des métropolitains » (1922-1942)
Harold Bérubé
À bien des égards, les grandes métropoles se rapprochent des « communautés imaginées » décrites par Benedict Anderson : aucun citadin ne peut connaître de manière approfondie l’ensemble des quartiers et des communautés qui les composent. Dans le cadre de cette communication, je m’intéresserai à un des principaux vecteurs à travers lesquels un citadin peut, néanmoins, « lire » sa ville et se l’imaginer dans sa globalité entre la fin du 19e siècle et le milieu du suivant : les journaux à grand tirage. Plus spécifiquement, je m’intéresserai au cas du journaliste du Devoir Louis Dupire. Né en France en 1887 et éduqué aux États-Unis, Dupire joint l’équipe du quotidien d’Henri Bourassa en 1912. Entre 1922 et sa mort soudaine en 1942, il est éditorialiste et élargit les horizons du Devoir en se consacrant presque entièrement aux affaires municipales. À travers l’étude des centaines d’éditoriaux qu’il consacre à divers problèmes sociaux, économiques et politiques montréalais, j’espère montrer comment, à travers un journaliste en particulier, un quotidien s’approprie la question urbaine durant l’entre-deux-guerres.
Communication 3 :
La ville et le campus : le journalisme et l’émeute des Tramways de Montréal (1955)
Daniel Poitras
L’émeute des Tramways de Montréal (1955), qui a paralysé la ville pendant trois jours et mené à l’arrestation d’une centaine de jeunes, a été abondamment commentée dans les journaux, qui ont par là témoigné de leurs conceptions de la délinquance, de la ville et de la hiérarchie sociale. Je propose de comparer le traitement de l’émeute dans cinq grands quotidiens montréalais (Le Devoir, La Presse, Le Petit Journal, The Gazette, The Star) et dans deux journaux étudiants (Le Quartier latin et le McGill Daily). Alors que les grands quotidiens, anglophones et francophones, s’entendaient pour condamner les étudiants pour leur immoralité, leur irresponsabilité ou leur goût du désordre, les journaux étudiants ont plutôt utilisé l’émeute pour enclencher une série de réflexions sur les frontières symboliques et matérielles des campus, sur l’importance d’en sortir pour les étudiants et sur leur rôle dans la vie municipale. Au-delà des enjeux de la moralité ou de l’ordre, c’est celui de l’émergence (future) de la collectivité étudiante qui a été soulevée grâce à l’interprétation journalistique d’une expérience urbaine inédite.
Communication 4 :
Fixer les limites du « féminin » dans les quotidiens québécois : des frontières (im)perméables, apprivoisées et contestées (1960-1980)
Marilou Tanguay
Au Québec, la construction d’une parole médiatique résulte d’un processus genré puisque dès le début des médias de masse au tournant du XXesiècle, elle se constitue avec pour toile de fond un imaginaire social basé sur les différences perçues entre les sexes. Dès lors, la présence du « féminin » et des femmes journalistes a été encadrée par une multitude de stratégies de contrôle. Les pages féminines en sont un exemple éloquent. Cette communication propose d’analyser les frontières entre le « féminin » et le « masculin » – universel – dans des quotidiens montréalais (Le Devoir, La Presseet le Montreal Star)entre 1960 et 1980 dans le but de cerner les dynamiques de pouvoir sexuées qui les traversent. Comment ces frontières, formelles et informelles, sont imposées, traversées, négociées et remises en question par les femmes journalistes ? À propos de quels sujets les femmes (ne) peuvent-elles (pas) écrire ? Problématiser « le journal » d’une telle manière invite aussi à réfléchir aux dynamiques genrées de production des quotidiens. Ainsi, par un dépouillement systématique des journaux sélectionnés selon la méthode de l’année construite (Riffe, Daniel et al., 1996), cette communication mettra en lumière les impacts qu’eurent ces frontières genrées tant sur les quotidiens généralistes que sur le journalisme.