
Il y a quelques semaines est paru le collectif Histoire et patrimoine. Pistes de recherche et de mise en valeur, dirigé par Joanne Burgess et Paul-André Linteau. Il fait suite à un colloque organisé en 2016 à l’occasion de l’ACFAS et rassemble quelques-unes des communications, qui ont été retravaillées de manière assez importante. On y trouvera un chapitre de ma main intitulé (assez longuement, je l’admets): « Les « villages » de Montréal, ou la métropole comme communauté de communautés : réflexions sur l’utilisation de la notion de quartier en histoire ». J’y poursuis une réflexion amorcée dans une note critique écrite pour Labour/Le Travail à partir des ouvrages de Gilles Lauzon sur Pointe-Saint-Charles et Dale Gilbert sur Saint-Sauveur.

Archives de la Ville de Montréal, VM066-6-P028
En voici l’introduction:
On se souvient surtout du roman Bonheur d’occasionde Gabrielle Roy comme du premier roman québécois proposant une vision naturaliste de la vie ouvrière en milieu urbain. Le regard que Roy pose sur le Montréal du début de la Seconde Guerre mondiale, sans être complaisant, est dépouillé des condamnations sévères que réservaient au monde urbain les romans à thèse qui l’ont précédé. Dans ce contexte, on peut dire de ce roman qu’il contribue à faire entrer l’urbanité, comme expérience pleinement assumée, dans la littérature québécoise[1]. L’un des aspects les plus frappants du portrait que propose Roy est la représentation de l’espace urbain que partagent les protagonistes canadiens-français du roman. À leurs yeux, leur quartier de Saint-Henri n’est pas, à proprement parler, un district de Montréal. C’est un village. Leur village. La « ville » apparaît à leurs yeux comme un espace autre, étranger, même s’ils le fréquentent à l’occasion, comme lorsque Florentine Lacasse sort au centre-ville avec Jean Lévesque. De même, d’autres « villages », tout aussi étrangers, existent au-delà des frontières de Saint-Henri, comme ce quartier bourgeois et majoritairement anglophone (Westmount) qui se trouve « en haut de la montagne » et que doit traverser Rose-Anna Lacasse pour aller visiter son fils, Daniel, qui se meurt à l’hôpital.
Ce que Gabrielle Roy a compris de l’expérience urbaine au 20esiècle, c’est qu’aucun citadin ne vit son urbanité à l’échelle d’une métropole. Au contraire, cette expérience au quotidien de la ville se vit à plus petite échelle, à travers un certain nombre d’espaces plus restreints, mais interconnectés de différentes façons et que l’on englobera ici sous le terme de « quartier ». Dans ce chapitre, je propose une réflexion sur la façon dont on a utilisé cette notion de quartier pour décrire, comprendre et étudier la ville de Montréal. Je souhaite démontrer que, malgré sa centralité dans l’expérience citadine et son indéniable pertinence pour comprendre l’histoire et le patrimoine de Montréal, elle n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes que doivent prendre en compte ceux et celles qui l’utilisent comme cadre et comme référence. Je pense notamment à cette tension – voire cette contradiction – qui existe entre, d’un côté, le quartier comme réalité objective, comme unité de découpage du territoire et, de l’autre, le quartier comme réalité subjective, comme espace imaginé et vécu par ses habitants. Je proposerai donc d’abord une réflexion générale sur la place du quartier en histoire urbaine, pour me pencher ensuite plus spécifiquement sur les façons dont cette notion a été utilisée dans les dernières années pour étudier le patrimoine et l’histoire de Montréal. En conclusion, je réfléchirai aux pistes qui s’offrent aux chercheurs qui désirent approfondir cette réflexion critique sur le quartier en histoire urbaine.
[1]Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, 2007, p. 293-304.
Fort intéressant, Harold! Un sujet qui me renvoie un peu à mes études de maîtrise et de doctorat sur les quartiers et les arrondissement à montréalais… Je crois bien que je vais tenter de dénicher le livre quelque part pour lire ta contribution!
Merci Martin, j’espère que tu vas apprécier!